En une dizaine d’années, Da Silva s’est fait une place dans la musique française. Entremêlant les genres pour obtenir un style musical unique, Da Silva fait son bout de chemin et n’hésite jamais à se livrer sur son ressenti, ses appréhensions, ses inspirations… Rencontre avec le musicien pour la sortie de son cinquième album Villa Rosa.
Quel est votre état d’esprit avant d’entamer cette tournée ?
Comme souvent avant d’entamer une tournée, on est assez impatient et puis il y a en même temps un peu d’appréhension parce que je fais partie de ses artistes qui retravaillent complétement les chansons de l’album pour les réorchestrer en live. Je n’aime pas trop, voire pas du tout, que ce soit la même chose. J’envisage des concerts comme des concerts et pas comme le fait de jouer des morceaux de l’album en live .J’ai besoin de recréer, de réorchestrer les chansons pour en faire un vrai concert, donc ils sont vraiment très différents. Il y a un travail préparatoire et on se demande toujours comment les gens vont recevoir cela.
Quel est votre rapport à la scène ? La scène est-elle plus importante que l’enregistrement d’un album ?
Il y a rien de plus important. Ecrire et composer une chanson c’est une chose, mais la réaliser, l’amener au bout c’est beaucoup plus difficile. De faire en sorte qu’elle soit révélée c’est compliqué. Moi je viens de la scène, je n’ai pas fait de télé crochet ou autre. J’ai fait de la scène très jeune, pendant très longtemps et dans des tas de groupes indépendants. Je fais des tournées qui durent un an, donc j’aime vraiment ca !
Chacun de vos concerts sont tous les mêmes ou bien vous faites en sortes qu’ils soient différents ?
On ne peut pas dire que ce ne sont pas les mêmes. Quand on organise un spectacle pour une tournée, on reproduit le spectacle dans chaque ville et après il y a une part d’inconnu. L’inconnu, c’est comment le public dans une ville reçoit une chanson et dans une autre la reçoit autrement. Et selon ce que t’as envie de dire le soir, tu racontes un truc ou un autre. Ou encore comment le public réagit. Parfois on prie pour qu’il y ait un accident, cela permet de sortir de ses habitudes si tu en as pris. Quand tu fais un concert, il y a toujours le principe de vouloir faire mieux, il y a une espèce de surpassement permanent. Par exemple Nadal quand il fait un match de tennis est ce qu’il fait toujours la même chose ? Et bien non mais pourtant il joue toujours au tennis.
Quel est votre processus d’écriture ? Est-ce que vous avez le thème d’abord ou vous écrivez de manière poétique ?
Moi quand je termine un album, la première chose que je fais c’est de commencer un autre album. Donc je me pose pas vraiment la question des thèmes que je vais aborder, je creuse un sillon depuis des années et je creuse toujours ce même sillon ; je l’aborde d’un tas de façons différentes. Je pense qu’un artiste a quelques obsessions, puis ces obsessions, ces questions, ils les reposent en permanence. C’est ça se remettre en question, c’est remettre toujours la question sur le tapis en faisant table rase de ce qui s’est passé avant. C’est ça être un artiste, c’est savoir se remettre en question, on réfléchit à ce que l’on a fait et puis on est dans la même situation et puis on recommence à chaque fois que c’est pourri et on se remet encore en question tout le temps. La création c’est un grand point d’interrogation.
Vous prenez jamais de pause entre deux albums ?
Moi je ne prends jamais de pause dans la vie. Je fais tout le temps de la musique.
Est-ce que c’est plus dur d’écrire pour un autre artiste ? L’artiste vous donne-t-il des consignes à l’avance ?
Ecrire pour un autre artiste, c’est déjà se demander qu’est-ce qu’une bonne chanson ? Et une bonne chanson c’est une chanson qui va très bien à son interprète, qui est bien porté par son interprète. C’est comme une robe, il peut y avoir des trucs très bien coupés et des trucs coupés n’importe comment, mais il y aura toujours quelqu’un pour rentrer dedans quoiqu’il arrive. Evidemment qu’il y a des consignes, il y a un brief de départ. Quand t’écris pour Mélanie Pain qui fait partie de Nouvelle Vague ou Claire Denamur, des chanteuses comme ça, ce n’est pas pareil que quand t’écris pour Jennifer. J’ai les deux extrêmes là, tu vois. Il faut que ça corresponde à la personne, à ce qu’elle veut faire maintenant mais aussi à la vision que tu as de la personne. Si elle vient te chercher c’est aussi pour ton travail donc il faut que tu puisses poser un regard sur elle,, que tu puisses analyser ce qui pourrait lui convenir et de savoir toi qu’est-ce que tu vas projeter à l’intérieur. Ecrire pour un autre artiste c’est difficile, il faut prendre en considération l’autre, la personne, ou elle en est dans sa carrière, prendre en considération son désir qu’elle n’a pas réalisée et tu dois aussi prendre en considération ce que toi tu peux faire pour l’autre et comment tu le projettes pour l’autre.
Quel est votre rapport à la littérature en général ?
Je fais partie de ses gens qui font une grande traversée. Quand je commence un auteur souvent je tombe dedans et je cogne tous les livres ou presque les uns derrière les autres. Et cela jusqu’à ce que j’en aie marre et puis je passe à un autre.
Quels sont les auteurs que vous aimez le plus ?
Faulkner j’adore ! Celine je trouve ça fabuleux, Harry Crews, Pullman. Il y en a plein, il y a en a trop… Je lis beaucoup.
A part la littérature, quels sont vos sources d’inspirations ?
Ce qui m’influence le plus dans ma musique, c’est la photographie parce que quand j’écris une chanson souvent je regarde une photo, un portrait de quelqu’un ou une scène. C’est d’ailleurs pour ça que j’écris au présent. J’imagine souvent ce qui s’est passé avant et ce qui pourrait bien se passer après. Je fais plein de scénario, et mon imagination est très active. Et tout cela fait des chansons au final.
Musicalement, quelles sont vos influences ?
Je pense que tu ne sais pas vraiment ce qui t’influence. Je ne sais pas ce qui m’influence, j’écoute du jazz, de la musique anglo-saxonne, de la musique française, du punk, de l’électro, de la musique brésilienne. J’écoute des tas de trucs complétements différents, j’adore passer d’un genre à un autre. Je n’ai pas l’esprit fan, je n’ai jamais été fan d’un groupe. Je ne sacralise pas les choses donc je ne sacralise pas les groupes non plus. Si je commence à sacraliser quelqu’un, je finis par sacraliser tout le monde, la planète entière. Tout est magique dans la musique, ce qui touche au gout, à tes sentiments, à tes sensations, à ton ressentis, à quelque chose que tu ne maitrises pas, qui relève de l’intime et tu ne sais pas pourquoi tu aimes ça. Tu penses d’ailleurs parfois que c’est inavouable de pouvoir aimer telle ou telle chanson, tu penses que c’est tout pourri mais moi j’aime bien, par exemple tu tombes raide dingue de Jackie Quartz, Juste une mise au point. Moi j’aime Drake par exemple, Eminem je trouve ça mortel, et pourquoi j’en sais rien, c’est juste que ça me touche. Une chanson quand elle te touche ça peut être le boulanger du coin ou un mec qui est installé depuis 300 ans, pour moi c’est la même chose, c’est la chanson qui me porte. Je ne projette rien sur les gens. Si je rencontre l’homme, je vais te dire qu’il est génial ou que je l’ai pas aimé mais je peux le différencier de sa musique. Par exemple Celine, c’est un fumier humainement, c’est une ordure, qui a écrit n’importe quoi mais par contre on ne peut pas lui enlever que dans la littérature il y a un style par siècle et que lui il a révolutionné la littérature française. Je hais le mec pour ses idées, je ne les tolère pas, elles me répugnent mais la façon dont il décrit le monde elle est géniale.
Comment définissez-vous cet album ?
Je ne peux le définir que par rapport à mes albums précédents. C’est très dur de porter un jugement dessus. J’ai souhaité faire un album qui soit plutôt vertical qu’horizontal, c’est-à-dire que les chansons puisse être indépendantes les unes des autres. J’avais envie que ce soit un album qui surfe sur des thèmes rapides et qu’il ne soit pas hyper martial. Cet album va très vite. Il y a beaucoup de force et peu de poids. J’avais cette envie de pop assez sophistiqué. J’avais aussi envie d’imprimer des sons que j’ai pu aimer dans mon éducation musicale. L’éducation musicale se fait jusqu’à la fin de tes jours et j’avais envie de rassembler tout ça. Ça me plait assez d’aborder des thèmes assez graves et assez noirs et de les balancer dans une peinture plus éclatante. Quand c’est rapide, tu as tout de suite l’impression que c’est plus joyeux et même si ça ne l’ai pas. Il faut se pencher sur les paroles se rendre compte que ce n’est pas parce que c’est rythmé que c’est joyeux. Je ne sais pas trop ce que c’est la maturité artistique.
Pourquoi avoir choisi « Villa Rosa » comme titre ?
Je trouvais que ça synthétisait bien l’esprit de l’album qui a était enregistré en vase clos, à ICP, un studio ou tu dors, ou tu manges, t’es vraiment renfermé à l’intérieur du bâtiment. Au total, 10 jours, 10 chansons, une pièce par jour, une chanson par jour. C’est vrai que mettre ça dans une maison rose c’est assez incroyable.
Est-ce que vous vous sentez proche de certains artistes actuellement ?
J’ai jamais trop compris ce que cela voulez dire se sentir proche d’artiste. Moi je me sens à aucune place donc c’est dur de me sentir proche de quelqu’un. Je ne me sens un peu nulle part. Je n’ai pas l’impression de faire de la chanson, je trouve que la beauté d’un artiste c’est d’être singulier et on y perd un peu chaque jour. Aujourd’hui, on cherche à rassembler tout le monde, à les confondre, à les unifier.
Quelle est votre réflexion sur l’industrie musicale ?
J’ai démissionné, j’ai changé de label pour aller chez Pias. L’industrie musicale souffre et a du mal à se moderniser. Et elle tombe parfois dans des travers qui ne sont pas très nobles. Elle a du mal à trouver un modèle économique. Il faudra se recentrer sur l’artistique surtout. L’industrie est une chose mais l’art en est une autre.
Quels sont vos projets pour le futur ? Comment envisagez-vous l’avenir ?
Il y a un truc merveilleux dans la vie, c’est le seul truc qui me donne une joie de vivre et un instinct de survie, c’est la surprise. Si jamais demain tu me filais la meilleure voyante du monde qui me donnerait mon avenir, je lui dirais non merci, gardez-le pour vous je ne veux rien savoir. Moi-même je ne veux pas faire de plan sur la comète. Tout ce que je sais c’est que je vais partir en concert, ça va être cool. Je vais passer d’une rencontre à une autre. J’ai besoin de cette sensation de liberté, de prise de risque et de ce style de vie. Je ne vois pas la musique comme une carrière donc du coup je n’ai pas de plan de carrière. Ma vie est faite de musique. J’en ai rien à foutre de vivre de ma passion mais par contre faire vivre ma passion, c’est autre chose. Moi je considère que j’ai la chance de pouvoir vivre de ma passion mais que ce n’est pas une ambition. A chaque fois je suis émerveillé, je me dis « putain j’ai encore passé une année ». Gagner ma vie c’est une conséquence mais ce n’est pas mon but. J’aurais pu faire commercial, médecin, avocat, un métier stable mais putain ça m’aurais fait chier. A un moment donné dans ma vie j’ai choisi. Je devais passer un bac littéraire, j’avais un groupe à l’époque et un mec nous appelle et nous dit qu’il a une tournée pour nous de 30 dates. Cette tournée commençait le jour de l’épreuve de philosophie et j’ai fait un choix, la musique. J’aime la musique, je pense à ça, je suis fait de ça.
Da Silva
à la Dynamo de Toulouse le 28 janvier à 20 heures.