Edward Ray Cochran a choisi de
tourner le dos à son job, sa femme et son petit à naître. Pour la route,
pour la musique, pour le blues. Pour devenir Meteor Slim, pour réaliser son
rêve. Mais le blues, man, ce n’est pas de success stories dont il se
nourrit…

La période des cadeaux est désormais derrière nous et, pourtant, Le rêve de
Meteor Slim est l’exemple même du « beau livre » qu’on aime trouver au pied
du sapin. Format atypique, pas loin de 160 planches sur papier de création,
bel objet. Et surtout un dessin renversant, qui laisse béat en de nombreuses
occasions. Les expressions sont troublantes, les décors, présents quand ils
sont nécessaires, laissent pantois, particulièrement ceux qui s’exposent sur
les cases les plus spacieuses. Parfois, c’est bien connu, tout se joue sur
un détail, différent pour les uns ou les autres. Ici, le rendu du vent dans
les herbes est un pur bonheur. Le tour de force d’imprimer autant
d’émotions, diverses et variées, sur des visages qui, a priori, sont fait
avec "trois fois rien" en est un autre. Et puis il y a le blues. L’envie de
fredonner un air, d’imprimer les douze mesures traditionnelles à ces textes
égrainés tout au long de l’album. La tentation de leur prêter un timbre
qu’on imagine rauque et un brin traînant, plus ou moins péniblement restitué
par un appareil d’époque avec son aiguille qui attaque littéralement le
sillon pour en extraire une complainte. Un peu toujours la même, mais dont
on ne se lasse pas, qui sort des tripes. Pas de la musique d’enfant de
chœur. De la musique qui sent la sueur, la fumée des endroits peu
fréquentables, les contacts tumultueux, l’arnaque, l’odeur – plus que le
parfum – des nanas qu’on culbute dans les arrière-salles. La loose aussi,
forcément. Ni plus, ni moins. L’essence du blues.

Si certains trouvent que c’est finalement assez peu, qu’ils aillent au
diable. Frantz Duchazeau livre un album exemplaire, dont on se fout pas mal
de savoir s’il est parfait ou non. Il parvient à transcrire l’âme du blues,
du Mississipi en 1935, tel qu’il nous plaît de l’imaginer. Son personnage
n’est pas le meilleur musicien qui soit, mais il traverse son rêve comme un
homme qui n’a pas été touché par le doigt de Dieu et qui est loin d’être un
modèle de moralité. Seulement un mec moyen qui a eu envie de tout plaquer et
de prendre la route. Il appartient à son époque, sa condition lui colle à la
peau comme aux autres, mais difficile de voir dans Le rêve un véritable
portrait de l’Amérique d’alors. Il côtoie bien aussi certaines figures de
légende, mais Le rêve n’apparaît pas non plus comme un ouvrage d’érudit à
vocation biographique. Si l’incontournable Robert Johnson est présent, c’est
plus dans un rôle quasi spectral, loin de l’ange gardien chargé de veiller
sur un filleuil, qui croisera la route de Meteor Slim pour lui faire toucher
terre plus souvent qu’à son tour. A côté de Johnson, Meteor n’est rien et
pourtant, au bout du compte…

Après la lignée La nuit de l’inca – Gilgamesh – Les cinq conteurs de Bagdad
– Dieu qui pue, Dieu qui pète (les trois premiers chez Dargaud, le dernier
chez Milan), Duchazeau avait amorcé un virage avec Les vaincus (Dargaud –
Prix des libraires de bande dessinée 2007). Il se traduisait par un travail
réalisé en solo faisant la part belle au noir et blanc, aux ombres et aux
nuances qui les accompagnent. Aujourd’hui, Le rêve de Meteor Slim apparaît
comme un pallier supplémentaire pour un auteur suivi à la trace depuis
longtemps (y compris depuis Igor et les monstres qui n’est curieusement pas
repris dans la bibliographie figurant en ouverture et qui évoluait dans la
veine du pur comique aujourd’hui manifestement abandonnée). Sans savoir s’il
s’agit d’un virage définitif ou plutôt d’un exercice de style isolé, le
résultat est là : un cadeau de Noël début mars, ça fait sacrément plaisir.

Dédicaces à Toulouse
L’auteur, Frantz Duchazeau sera présent à la librairie Gibert Joseph le
samedi 15 novembre à partir de 15h00.

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