dimanche , 28 avril 2024

Interview. Thomas Wiesel :  « Je réalise que j’ai beaucoup de chance de faire un travail que j’aime »

L’humoriste Thomas Wiesel nous revient avec un nouveau spectacle autour du travail ce mardi 6 février 2024 au Casino Barrière Toulouse. Rencontre.

Thomas Wiesel revient avec un nouveau spectacle. Le suisse repart en tournée avec » Thomas Wiesel travaille » , son 3e spectacle où il évoque justement, le travail. A l’occasion de son passage toulousain, une rareté, l’humoriste Suisse revient avec nous sur la création de son spectacle, son évolution et son regard sur notre pays. Rencontre.

Actuellement en tournée, on est dans quel état d’esprit ? C’est une période qu’on aime ?

Là c’est la fin de la tournée donc il y a un peu le sentiment d’excitation que ce soit fini. Ça fait un an et un mois que je suis sur les routes avec ce spectacle et je commence à savoir ce que je vais dire.

Il y a une durée de vie pour un spectacle ?

Pour les collègues, c’est différent j’échange beaucoup. Certains adorent avoir un spectacle bien en tête, se sentir très à l’aise avec le texte. Pour moi, passé l’excitation, il y a une durée effectivement limite avant que je me lasse, et là on arrive à cette durée.

Quel est ton rapport avec la scène ? C’est un moment que tu apprécies ?

J’aime beaucoup ça ! Je trouve que le fait d’écrire une blague parfois le jour même et de pouvoir aller chercher directement la réaction du public, c’est pour moi l’un des trucs les plus beaux dans l’humour.  Il y a une forme d’immédiateté et de sincérité dans l’humour sur scène que j’apprécie beaucoup. Le public ne fait pas semblant de rigoler, s’il rigole c’est qu’il a trouvé ça marrant. Je trouve que la différence entre consommer de l’humour en vidéo et en personne dans une salle avec un public, c’est indescriptible à quel point c’est très très différent. Il y a un côté cathartique, il y a un moment d’émotions partagées. On a vu ces dernières années quand on a essayé de faire de l’humour à distance, des trucs sur Zoom etc à quel point c’était impossible à répliquer.

Comment sais-tu si une vanne, une blague, est bonne ?

C’est vrai qu’il y a plusieurs définitions.  Au début, tu es juste content quand ça fait rire, c’est déjà un exploit. Dans les premiers mois, les premières années, c’est ton seul objectif, et puis après tu réalises qu’il y a différents rires. Des rires plus ou moins faciles et des rires plus ou moins originaux. Je pense que ça, c’est à l’écriture que ça se joue. Tu essaies d’éviter un peu les vannes avec les rires gras. Mon critère, c’est si genre un cousin, ou un oncle bourré à Noel ou même un type au bar peut faire cette blague, en tant que professionnel, je ne dois pas la faire. Je dois faire celle d’après, celle qui est moins évidente. Donc ça, c’est un peu mon garde-fou. Le verdict ultime reste le public. Si tu sens que dans une salle il y a 20% de gens qui rigolent, ce n’est pas suffisant. Pour autant, je ne suis pas partisan de dire il faut que toute la salle comprenne toutes les blagues. Je pense qu’il peut y avoir des blagues qui sont moins universelles dans le spectacle, mais il faut quand même faire rire une bonne majorité des gens sur la plupart des blagues.

Et par rapport aux publics, tu vois une différence ? Notamment quand tu voyages en France, en Belgique, en Suisse ? Est-ce que tu adaptes un peu le spectacle ?

Les références, tu es obligé de les adapter. Je pense que les connaissances ne sont pas les mêmes partout. Je pense qu’en Suisse ou en Belgique on a une bonne connaissance de la France et je pense qu’en France vous avez une très mauvaise connaissance de la Suisse et de la Belgique. A Toulouse on peut vous pardonner, parce que c’est loin de la Suisse et de la Belgique, mais il y a des endroits très proches de la frontière, où on est quand même à une demi-heure de voiture, et vous pourriez vous intéresser à nous et pas seulement pour venir travailler chez nous (rires). Une blague que je fais en Suisse qui fonctionne bien, en France, je vais prendre 40 secondes pour expliquer pédagogiquement un truc et faire la blague ensuite. La plupart je les adapte, et une ou deux je les explique. Les différences que je ressens sont peut-être liées à mon statut, c’est-à-dire que quand je fais mon spectacle en Suisse, toute la salle aura déjà vu des choses de moi, aura décidé de son plein gré de venir me voir ou pas, aura déjà une opinion sur moi. Les gens qui ne m’aiment pas ne viennent pas. Tandis qu’en France et en Belgique, je sens que c’est  différent. Une personne qui m’aime bien, invite quelques potes, de la famille… Je sens qu’il y a une partie de la salle qui me découvre, et ça on réalise sur les premiers rires.

D’ailleurs, à ce nouveau public qui ne te connaît pas encore : comment décrirais tu ton spectacle ? ?

Franchement c’est difficile, parce que je pense que si tu demandes à n’importe qui de décrire son humour, il te dira qu’il a un bon humour. Après si je compare avec les collègues, c’est vrai que je ne cours pas sur scène, je joue assez peu de personnages. Mon humour se base sur le texte. Si les gens connaissent des Blanche Gardin ou certains humoristes anglo-saxons, on s’en rapproche. C’est haché, épuré et un débit assez conséquent. De l’humour avec quelques références, cynique, sarcastique, et puis, si les gens aiment bien l’humour sur l’actualité, il y a toujours une partie, j’essaie toujours de m’intéresser un peu à ce qui se passe dans le coin ou dans le pays quand ce n’est pas mon pays. Le reste du spectacle, en l’occurrence, parle de travail.

En plus quand tu arrives en France, en ce moment, il y a pas mal de choses à faire sur les sujets d’actualité. Pour un humoriste c’est une bonne période ?

On me dit ça à chaque fois que je viens en France, et c’est vrai qu’actuellement il y a quoi de faire. Et je pense qu’effectivement pour vous il y a rarement des trous d’air. Et même parfois dans les moments où par exemple l’été quand l’actualité se calme, les médias, avec trois chaines d’infos en continu, doivent se nourrir de trucs. Alors que nous en Suisse on a plus le réflexe de quand y a rien en Suisse, ce qui est assez fréquent quand même,  on s’intéresse à l’étranger. Du coup, dans nos journaux télévisés, il y a une page sur la Suisse qui dure 3 minutes et la page internationale c’est 25 minutes /  30 minutes. Donc oui j’ai l’impression que quand je vais en France il y a toujours beaucoup de sujets. Dans mon spectacle, il y a une vingtaine de minutes d’actu en ce moment. Cela étant, je ne pousse pas plus car je n’aime pas garder les gens 1h30/1h40 dans la salle, je trouve qu’à un spectacle d’humour, au bout d’un moment on fatigue, surtout quand il y a quelqu’un qui parle non-stop.

On va parler justement de ce spectacle, sur le monde du travail. Comment est-il né ?

C’était effectivement un peu la question de « est-ce que je vais arriver à trouver un thème qui va intéresser des gens pour ne pas parler de moi ? ». J’avais l’impression que j’avais fait un premier tour de la question avec le spectacle précédent, et je n’avais pas grand-chose de neuf à dire sur mon nombril. J’avais quelques idées de thèmes différents. La thématique du travail s’est imposée car je trouvais que les questionnements étaient les plus vastes, les plus partagés, les plus intéressants. Ce n’était pas un truc de petit artiste qui se morfond dans son coin, vraiment il y avait un truc au niveau de la société où on commence tous à se demander « est-ce qu’on fait tout juste au niveau du travail ? » et il me semblait que mes collègues n’avait pas encore pensé la thématique. C’était à la fois un thème peu abordé en humour et qui questionne les gens de plus en plus. Je me suis dit que peut-être je pouvais amener une petite graine à cette réflexion qui est souvent très sérieuse. Et parfois mon humour permet de regarder les choses un peu plus de biais.

Quelle est ta relation justement avec le monde du travail ?

Moi j’ai une relation de grande reconnaissance, déjà, parce que je réalise que j’ai obtenu le travail que je rêvais de faire, qui me paraissait même un peu inaccessible au début. Que j’ai défini la plupart des règles de mon travail, c’est-à-dire que je n’ai pas de patron au-dessus. Je réalise que j’ai beaucoup de chance de faire un travail que j’aime. Cette chance, les gens ne l’ont pas forcément  dans leur carrière. Ils ont des conditions difficiles. Est-ce que vraiment les progrès dans le monde du travail et de la productivité ou de la technologie font que les gens vivent mieux ? Avec toutes ces questions, je me dis que je suis un ultra privilégié, et je vois quand même des trucs qui clochent. Avec le recul, je me dis qu’il y en a qui doivent souffrir beaucoup plus que moi et qui n’ont peut-être même parfois pas le temps de se poser ce genre de questions. Quand on bosse tout le temps, on ne peut pas prendre le temps de la réflexion. Je ne suis pas très bien placé pour parler de travail, parce que ma vie est relativement différente de la plupart des travailleurs, mais d’un autre côté ça me donne le recul nécessaire pour peut-être regarder ça avec un œil cynique et avec un peu de distance.

Et pousser les gens un peu à la réflexion après le spectacle…

Ce n’est pas le pire compliment qu’on puisse me faire en tout cas. Si on sort du spectacle en se disant « j’ai bien ri, et il y a 2/3 petits trucs qui me trottent dans la tête, qui vont continuer de tourner un peu » tant mieux. Cela étant, je ne pense pas que c’est un spectacle qui peut renverser une quelconque certitude. Mais il peut apporter de l’eau à leur moulin. Et j’ai eu déjà quelques réactions de gens qui me disaient, « je me posais pas mal de questions, ça n’allait pas trop et depuis ton spectacle… » Des fois les gens se sentent un peu moins seuls aussi, parce qu’il y a une sorte de culpabilité sur le fait d’être malheureux au travail. Il y a une forme de culpabilité chez les gens pour qui le travail n’est pas le centre de leur vie. Ils ont l’impression d’être un peu en marge de toute l’histoire et ce genre de spectacle peut peut-être les faire se sentir un peu moins seuls. Je pense qu’effectivement il y a plusieurs modèles et moules différents. Le problème actuellement, c’est qu’on essaye de faire rentrer tout le monde dans le même moule, celui des ultras travailleurs et je pense qu’on n’est pas tous faits pour rentrer dans ce moule.

« Il y a une forme de culpabilité chez les gens pour qui le travail n’est pas le centre de leur vie »

Et en parlant de travail, comment travailles-tu tes textes ? 

Je travaille seul. Je ne suis pas doué pour le travail en groupe. J’ai pas mal de collègues qui m’envoient des textes, surtout des chroniques humoristiques. Tout ce qui est texte de scène, on a le bénéfice de pouvoir aller les rôder, les essayer, s’aider un peu du public pour continuer. Les chroniques ou les spectacles évènementiels comme des cérémonies de remise de prix ou des trucs comme ça, c’est le premier jet qui doit être bon parce qu’on a pas deux essais. Donc ça, c’est le domaine le plus collaboratif je dirais. Le texte de spectacle c’est un exercice assez solitaire. Après, ça arrive que les collègues en première partie ou qui m’ont vu tester des petits bouts dans les comedy clubs, me fassent des suggestions et qu’elles soient bonnes. Mais sinon c’est vraiment un exercice où je commence par me documenter avec plein d’articles d’actualité, plein de témoignages, des choses comme ça. J’écris un peu des blagues, je commence par un petit bout, je vois si ça peut s’imbriquer avec le texte que j’ai déjà écrit avant, et ensuite, dès qu’on a une heure à peu près de texte, je fais une petite tournée de rodage. Suivant les réactions que j’ai à ce moment-là, je continue d’affiner l’écriture, de modeler le truc et après c’est un tout petit peu évolutif pendant la durée de la tournée.

Puis tu as un texte figé ou il y a de l’improvisation ?

Il y a peu d’improvisation, ne serait-ce que parce que je ne sais pas faire ça. Il y a une partie d’interaction avec le public que je n’appelle pas impro, même si elle n’est pas écrite, mais pour moi c’est une conversation. C’est peut-être de la répartie mais ce n’est pas de l’impro. Donc ça j’aime bien, parce que ça me permet que ça change tous les soirs, et donc d’être un peu plus au contact des gens. Il y a toujours un moment où je fais allumer la lumière et je parle au public mais je ne force jamais personne à me parler, et j’apprécie quand il y a des volontaires qui lèvent la main pour me répondre. Sinon oui, tout est écrit alors pas à la virgule mais quasiment.

Sens-tu depuis tes débuts, une évolution au niveau de l’écriture ?

Heureusement oui. Je fais partie des gens qui n’aiment pas trop se regarder. J’ai pas toujours honte de ce que j’ai fait avant. Il y a eu une période au début de ma carrière où j’étais souvent dans la recherche du choc. J’aimais bien choquer, provoquer une réaction. Ce qui est parfois plus facile à obtenir qu’un rire, j’espère que j’ai gagné en subtilité. Je pense qu’il m’a fallu quelques années pour oser parler de moi un peu plus dans mes textes.  Je pense que parler au public, c’est un peu la dernière évolution que j’ai eu il y a 4/5 ans, mais après 8 ans de carrière. Je ne me décrirais jamais comme quelqu’un de très à l’aise, mais ça m’a permis un peu de casser un mur que j’avais quand même avec le public. Je crois qu’on progresse à peu près les 25 premières années quand on fait ce job. Donc là je suis à la moitié de ça, je suis à 12 donc je me dis que j’ai encore 12/13 ans de progrès devant moi. Et puis après, je ferai en sorte que la régression soit la plus lente possible pour pouvoir faire ça le plus longtemps possible.

« Je suis rare volontairement »

Et la suite ? On finit la tournée, on se repose ou on est déjà à penser à la suite ?

Non, c’est un peu ce que je revendique dans ce spectacle. Justement cette espèce de course effrénée vers l’avant, où il ne faut pas qu’il y ait un seul blanc, avoir déjà quatre projets lancés etc. Je ne me suis jamais vraiment retrouvé là-dedans, je suis pas un très bon multitâche.Je sais que j’ai déjà des trucs en mars/avril chez moi en Suisse. Comme j’ai été beaucoup sur les routes, j’ai des chroniques régulières et j’en ai raté pas mal. J’ai pas mal de spectacles d’entreprises aussi, qui est une tradition que vous avez assez peu en France, mais où je vais jouer dans les évènements de boîtes, des conférences, des choses qui sont assez populaire en Suisse. Peut-être cet été le Québec qui est en discussion. Et puis il est question, ça c’est pas encore du tout sûr, mais de faire un spectacle uniquement à Lausanne, où j’habite, sur l’année 2024. Donc peut-être en fin d’année un spectacle récapitulatif de toute l’actu de l’année qui sera passée, un spectacle éphémère que je pense jouer que sur un mois ou deux.

Donc on en profitera mardi à Toulouse pour la dernière...

Oui ! La dernière fois que je suis venu à Toulouse, c’était le soir où Emmanuel Macron a décidé de fermer les salles de théâtre et qu’il a oublié de le dire. C’était en février 2020, on était dans le train pour Toulouse, on ne savait pas si on pourrait jouer ce soir là. On a appris qu’il parlait à 20h et que le spectacle était à 20h, donc même s’il annule tout, on sera déjà sur scène donc le spectacle sera faisable, et en sortant de scène, je me rappelle j’étais avec mon associé, en regardant les annonces de Macron on se dit :  « Ah cool on peut toujours jouer il n’a rien dit sur le théâtre » . Et le lendemain c’était Édouard Philippe qui est allé au 13h et qui a annoncé l’annulation des spectacles de plus de 50 personnes. Donc on a dû annuler le reste de la tournée. Donc la dernière fois que j’étais à Toulouse, c’était le dernier spectacle avant un moment. Alors quatre ans c’est peut-être un peu beaucoup, mais avant 2026, c’est sûr que je ne serai pas de retour dans le sud-ouest. Je suis rare volontairement.

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