Dimanche, Hubert Félix Thiéfaine retrouve le Zénith de Toulouse pour un nouveau concert autour de son magistral opus « Stratégie de l’Inespoir ». Rencontre avec un amoureux de la langue, un poète du rock français.
Après le succès critique et commercial de l’album « Suppléments de Mensonge » (Disque platine, 2 Victoires de la Musique en 2011), HUBERT FELIX THIEFAINE souhaitait donner un digne successeur à cet album mythique. C’est chose faite avec « STRATEGIE DE L’INESPOIR » son magistral nouvel album sortie le 24 Novembre 2014. Un an après ce magnifique opus, Thiéfaine est de retour au Zénith de Toulouse.
A la confluence du rock anglo-saxon et de la tradition française de chansons dites à textes, les chansons de Hubert Félix Thiéfaine allient une musicalité électrique à une écriture poétique d’une rare profondeur. N’hésitant pas à aborder des thèmes aussi sombres que ceux de la folie, de la mort ou du désespoir, évoquant la religion, le sexe ou l’amour, c’est avant tout l’humain dans toute sa complexité qu’Hubert Felix Thiéfaine dépeint dans ses chansons, avec toujours un regard lucide et une pointe de cynisme assumée.
A quelques jours de son passage, Hubert Felix Thiéfaine nous a fait l’honneur de répondre à nos questions.
Près de 40 ans de musique, près d'une vingtaine d'albums. Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Je suis fier de ma carrière mais je suis surtout reconnaissant de ce que le public a fait pour moi. Longtemps méprisé par les médias, c’est uniquement à lui que je dois mon parcours, par le bouche-à-oreille, par sa présence toujours plus importante à mes concerts… Aujourd’hui les médias m’ignorent moins qu’avant, mais je n’oublierai jamais que c’est grâce à mon public et à lui seul si je suis toujours là.
Récemment, vous avez contribué au dernier album de Grand Corps Malade, "Il nous restera ça". Comment s'est faite la rencontre? Comment est né ce texte ? Et que pensez-vous de la démarche de Fabien ?
J’ai rencontré pour la première fois Fabien le 11 janvier dernier lors de la soirée hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Quelques mois après, il m’a appelé et m’a parlé de son projet. Je préparais ma tournée, je ne savais pas si j’allais avoir le temps… mais le leitmotiv de son projet (« il nous restera ça ») m’a parlé et m’a donné envie d’écrire. J’apprécie la démarche de Fabien, c’est un garçon très talentueux et courageux, et puis associer la poésie à la musique, c’est quelque chose qui me parle.
Lors d'un précédent concert toulousain, vous avez expliqué qu'on vous reprochait d'écrire sur les mêmes sujets comme Dieu, la religion, le sexe, la mort et la drogue. Y a-t-il des sujets pour lesquels vous n'avez pas su mettre de mots dessus? Des tabous ?
Pas de tabous non, seulement des sujets qui m’intéressent plus que d’autres. Vous savez, je pense qu’un artiste doit être provocateur s’il veut créer. Attention, provoquer ne veut pas dire choquer ! Dans la provocation il y a l’idée de bousculer l’ordre établi, éventuellement de le remettre en question, c’est nécessaire si l’on veut faire quelque chose de nouveau. Pour revenir à ces reproches, prenons les thèmes dont vous parlez. Que reste-t-il de l’humanité si vous retirez la religion, le sexe, la mort, la drogue et les réflexions qui portent sur ces sujets-là ? Pas de civilisations sans religions, pas d’amour sans le sexe, pas de vie sans la mort, beaucoup moins d’art sans la drogue ou l’alcool, pas de philosophie sans réflexions sur ces thèmes… À travers ces sujets, je pense que je parle avant tout de l’humain dans ce qu’il a d’universel, de plus sombre parfois aussi… peut-être est-ce cela qui dérange certains ?
D'ailleurs, comment écrivez-vous ? Avez-vous besoin d'écrire en continu, tous les jours, ou le processus d'écriture entre en jeu au moment où vous avez décidé d'entrer en studio ?
Je prends des notes quotidiennement, ce peut être une idée, un mot qui me plait, un souvenir, un rêve que j’ai fait… C’est la première étape de l’écriture. La seconde c’est la confrontation à la page blanche. Face à elle, je ne sais jamais à l’avance ce qui va en sortir, il m’est arrivé d’écrire une chanson en une demi-journée tout comme de ne rien parvenir à écrire pendant un mois. En matière d’écriture il n’y a pas de règles. En revanche il y a des contextes plus favorables que d’autres. En ce qui me concerne, j’ai besoin de silence et de solitude pour créer.
Je voulais aussi évoquer avec vous les événements tragiques du 13 novembre dernier. Quel sentiment prédomine aujourd'hui Hubert Felix Thiefaine ? Quel message aimeriez-vous faire passer ? Quel souvenir du Bataclan ?
Ça me rend malade quand je pense à ces gens qui sont morts pour être allés écouter la musique qu’ils aiment… Je n’ai pas de message à faire passer, dans ces moments-là les mots sont impuissants pour décrire ce que l’on ressent mais je pense qu’il faut rester debout et continuer à vivre sans oublier ni pardonner. J’ai deux souvenirs particuliers du Bataclan, le premier est celui d’un concert que j’ai dû annuler à cause d’une extinction de voix (la seule et unique de ma carrière), le second est celui du concert où j’ai enregistré un live en 2001.
Dans une interview, vous avez dit que vous croyez en la jeunesse pour sauver le monde. Vous y croyez toujours ? La jeunesse est l’espoir pour le futur ?
Je ne suis pas un haruspice vous savez, avec ou sans espoir, le futur appartient par définition à la jeunesse. On peut seulement espérer qu’elle ne fera pas les mêmes erreurs que nous, ce qui a priori ne devrait pas être difficile… Et qu’elle continuera à lire des livres d’histoire et de poésie tout en allant sur Facebook !
D'ailleurs sur "Stratégie de l'Inespoir", vous avez laissé le champ libre à votre fils Lucas, qui donne une belle dimension rock, et le travail musical est somptueux. Comment s'est passé votre collaboration ? Qu'a-t-il amené à votre univers qui vous manquait jusque là ? Est-ce que cette collaboration peut perdurer, voire se développer dans le futur?
Ce n’était pas du tout prévu et on peut même dire que ça s’est fait par accident ! J’avais demandé à Lucas d’enregistrer en version guitare-voix plusieurs de mes titres afin d’avoir une maquette convenable. Quelques jours plus tard j’ai reçu un mail de Lucas avec une version de En remontant le fleuve sur laquelle il avait fait des arrangements. Mon texte l’avait inspiré. Ça a été une belle surprise, ça correspondait exactement à l’ambiance que je voulais pour cette chanson. Idem pour Karaganda et Angélus. La suite s’est faite naturellement. Lucas possède à la fois la fougue de la jeunesse et une grande culture musicale, il a su injecter des sonorités nouvelles tout en conservant une cohérence avec mon univers musical. Cette collaboration se poursuit en ce moment même sur la scène, où Lucas a rejoint mes musiciens pour cette tournée.
Vous avez enregistré un live à la Maison de la Poésie. Comment est née l'idée de faire ce concert, cet enregistrement et le choix des chansons ?
A l’origine de ce concert, il y a le projet de plusieurs universitaires qui avaient décidé de faire un colloque sur mes textes, sur mon écriture. Cette initiative était intéressante, elle ne me dérangeait pas mais je ne pouvais pas non plus y participer, vous comprenez, j’aurais eu l’impression d’être disséqué vivant ! Du coup ma façon d’y contribuer a été de clore ce colloque par ce que je sais faire de mieux : un concert avec des morceaux qui collaient à leur thématique.
Dans quelques jours, il y a une date toulousaine au Zénith. La scène, le live, est un moment particulier pour vous ? Que représente la scène ? Est-ce que vous vous y sentez particulièrement bien ou malgré les années, ça reste un lieu particulier ?
La scène, c’est un endroit assez magique vous savez, une dimension parallèle en quelque sorte, où l’on perd en partie le contrôle de soi tout en restant concentré sur ce qu’on a à faire. J’aime bien ce qu’en dit Keith Richards dans le film Shine a Light : « sur scène on est soi-même, on ne pense à rien ». Je le rejoins complètement là-dessus, quand on est sur scène on ne pense à rien, on ressent les choses c’est tout.
Le public a toujours été très présent et fidèle au fil des années. Et, un nouveau public est apparu grâce à vos deux derniers très bons albums. Quelle est votre relation avec le public ?
Je suis fidèle à moi-même, c’est ma façon d’être fidèle à mon public.
Dimanche 29 novembre au Zénith de Toulouse
Réservations : http://www.bleucitron.net