mardi , 1 avril 2025

Interview : Gaël Faye en concert à Carcassonne

 

Gaël Faye sera sur la scène du Square André Chénier à Carcassonne en première partie de Wax Taylor. Lors de son passage toulousain, on avait rencontré le rappeur. Retour sur cette rencontre.
 
Il y a plusieurs mois, tu étais à Toulouse en première partie d’Irma, quels souvenirs te restent –ils ? 
Ça possède le charme et la dangerosité une première partie. Surtout quand tu sors d’une série de concert devant ton public. Tu te mets en difficulté mais en même temps, j’ai envie de te dire, tu as l’impression d’avoir quelque chose à prouver. ET puis, je n’ai pas la dégaine du rappeur lambda, tenté si bien qu’il en existe un. Pour l’instant, on a des bons retours. Et puis finalement, même si je fais du rap, il y a une couleur qui peut être assimilé à du rap plus acoustique. Sur scène, j’ai de véritables musiciens qui m’accompagnent. En solo, je suis plus attiré par les couleurs de guitare ou les cordes. Avec Milk coffee Sugar, on avait un DJ. Pour mon projet, je le voulais comme ça. Car c’est un projet qui a été créé entre le Burundi et la France. Je voulais essayer d’y apporter quelque chose de personnel sur mon vécu, mon histoire…je n’imaginais pas mon son avec des platines.
 
Comment t’es venu l’envie de partir sur un projet solo ?
Ça m’est venu assez naturellement. Disons que depuis très longtemps, il y avait quelque chose d’enfouis en moi. Je suis arrivé en France à l’âge de 13 ans, j’ai quitté un pays en guerre, j’ai vécu beaucoup de chose pendant deux ans. Puis on a été rapatrié par avion militaire en France ma sœur et moi. Ça a été quelque chose d’assez traumatisant du haut de mes treize piges. Quitter un endroit où j’avais grandi, vécu avec tous mes repères et mes amis. J’avais donc en moi cette envie de raconter cette histoire-là avec les années qui ont suivies. Je continuais chaque été à retourner voir mon père au Burundi, car il est resté là-bas. Là-bas, j’écrivais des bouts de texte, je voyais les potes jouer de la guitare. J’ai commencé à maquetté comme ça. Quand Edgar, mon acolyte dans Milk Coffee et sugar, c’est lancé dans un deuxième roman, j’ai dit bingo. C’est l’occasion de sortir mon album. On a toujours eu la volonté que le groupe ne s’enferme pas sur lui-même.  C’est plus un état d’esprit collectif.  On est un couple assez libertaire (rires).
 
Ce premier album parle énormément de ton vécu, du Brundi…un album très personnel. Une psychanalyse nécessaire selon toi ?
Oui, totalement. Est-ce que ce serait un peu tarte à la crème de dire que  tous les premiers albums portent en eux ce germe de psychanalyse. Même au cinéma. J’ai des amis qui écrivent leur premier long métrage, il y a pas mal de chose d’eux.  J’ai quand même essayé que la petite histoire, avec un petit h, s’écrive dans la grande. L’histoire de mon pays, de mon exil…que  je ne sois qu’un point d’entrée de quelque chose qui me dépasse. Comme par exemple quand j’évoque le métissage. C’est un point de vue personnel, mais j’essaye de faire en sorte que ça correspond aussi aux questions des autres. Je m’en rends compte car les gens viennent après le concert me dire «  t’as parlé de moi sur ce morceaux ». Alors que non, c’est complétement personnel.
 
Ça doit être assez touchant ?
C’est extraordinaire. Surtout sur « la France », le morceau qui m’a poussé à écrire tout l’album. Je dis : « La France et l’asile, l’absence et l’exil, souffrance par pudeur faut pas que je l’exile, je vis loin de mes rêves, mes espoirs mes espérances, c’est ça qui me tue d’être écartelé entre Afrique et France ». Voilà, je développe cette idée-là dans le morceau. Il y a énormément de gens qui ont vécu un exil, qui ressentent cela à travers mes mots. Les gens souffrent aussi de l’absence des siens. C’est perso mais ça touche beaucoup de personne, c’est assez troublant. 
 

Tu n’as pas eu qu’une seule vie. Hormis ton passé, et ton exil du Burundi, tu as travaillé à Londres. Une autre partie de l’album parle de cette aventure. 
Oui, une autre partie évoque aussi ce que j’ai vécu pendant deux ans à Londres.  J’étais dans un autre milieu : je travaillais dans un fond d’investissements. Donc rien à voir. Je raconte aussi le processus qui a été le mien de quitter cette vie-là pour faire de la musique. « Pianiste sur un clavier Querty » évoque cette période. J’y parle de cette vie qu’on peut avoir. Avoir une passion en soi, être dans un métier où on ne se retrouve pas et se questionner sur le fait de sauter le pas ou pas. 
 
En parlant de sauter le pas, quel a été le déclic pour faire de la musique ?
Il y en a eu plusieurs. C’est un agrégat de choses. Mais disons, que  j’ai toujours écrit des choses, fait des mixtapes, etc…, mais j’ai fini mes études en me disant que je ne ferais jamais de la musique ma vie. C’est juste que les gens autour de moi, qui avaient fréquentés les mêmes studios et les mêmes scènes que moi, arrivaient à vivre de leur plume. C’est gens-là m’ont motivé. Tiens si eux le font, comme je ne me sens pas moins méritant et moins talentueux que, alors tentes ta chance. J’ai tout lâcher. Ça n’a pas été facile car j’avais une vie confortable, je gagnais bien ma vie. Après rentrer, quitter Londres le costard cravate et la city, pour finalement rentrer chez maman, allez en studio pour sortir un album de rap alors que personne nous connais, c’est difficile. Et le rap est un milieu saturé car il y a tellement d’offre qu’au final on galère. Finalement, ça fait quatre ans que je fais ça et que ça prend.
 
La musique a toujours fait partie de toi ? 
Pas du tout bizarrement.  Mon grand-père était chanteur d’opéra, la sœur de mon père était pianiste, mais nous, on était un peu à l’écart. Car eux étaient français, et nous, on vivait avec mon père au Burundi. A la maison, mon père écoutait du Brassens, du Brel…mais je ne peux pas dire que ça m’a éveillé à la musique. Vraiment, ce qui m’a amené à ça, c’est l’écriture. Par rapport à ce que j’ai vécu au moment de l’exil et la guerre. Quand je suis arrivé en France, j’avais envie de partager mes textes. Je suis donc allé à  la première MJC proche de mon domicile. Et là, il y avait un atelier rap. C’est parti de là. En plus, c’était la musique que j’écoutais. 
 
Quels sont tes influences musicales ?
Le rap français c’est sûr. Dans mes références, dans ce qui m’a influencé dans mon art, c’est Time Bomb Commando, indéniablement. Les X Men, Oxmo Puccimo ou encore Lunatique. Ça, c’est vraiment mon école à moi. Je me disais, là il y a du flow, ils savent utiliser les mots. Après, il y a des textes plus engagé comme La Rumeur, qui m’ont ouverts à autre chose. Et puis musicalement, aux Etats Unis, même si je ne comprenais pas les lyrics, il y avait quelque chose de beaucoup plus fort comme Nas, De la Soul…
 
D’ailleurs, quel constat sur la scène rap actuelle ?
J’aime le nouveau souffle qui se propage actuellement. Quand j’allais dans une maison de disque, ou en interview, on me baratinais sur le fait que le rap est mort. Et là tu vois que la scène prend la relève et le public est toujours aussi nombreux. En plus, j’ai l’impression, qu’il y a aussi une image plus polissée et que les gens comprennent enfin que c’est de la musique. Ce n’est pas uniquement un mouvement de mec qui vient du ghetto pour foutre le feu. Donc, en gros, pour moi, il y a un combat permanent pour les gens qui font du rap : faire en sorte que cette musique soit considéré comme une musique et non pas comme une mode. Tant qu’il y aura des gens qui voudront développer le rap comme une musique de qualité comme un art dans le sens noble du terme, qui s’inscrive dans une carrière, là on aura franchi un grand pas. Le meilleur exemple reste Oxmo. Il faut ouvrir son art à autre chose. 
 
Revenons sur l’album. Quel a été le processus créatif ?
C’est  un joli bordel. Des fois, j’ai le texte, parfois la musique. Il n’y a pas de secret ou de routine dans le choix d’une chanson. Après, je peux aussi partir d’un thème. Pour l’ensemble des morceaux, excepté Blend, j’avais l’idée depuis longtemps. Il me manquait juste les mots. Si j’ai un processus de création, c’est plutôt dans la maturation. Il me faut une idée, puis je cherche, je teste, je la laisse reposé, et une fois que c’est bon : j’écris très rapidement. Mais je peux mettre beaucoup de temps. Pour le morceau, la France, j’ai mis 10 ans a trouvé un angle, des mots. Je l’avais à l’intérieur mais ce fut long à sortir.
 
Tu as un attachement à la langue française non ?
Personnellement, j’écris à l’oral. Je trouve que mon texte, juste lu, n’a aucune qualité littéraire. J’essaye juste de trouver les sonorités, travailler avec un beat, il faut qu’il ait de la force à l’oral. Je ne suis pas un orfèvre des mots. J’essaye aussi de diviser les disciplines au sein du rap. Il y a le thème que tu travailles en profondeur. Puis l’égo trip, où tu t’amuses à passer du coq à l’âne. Il y a ce truc-là dans la scène qui revient sur le devant de la scène. On n’est plus dans le rap thématique comme NTM ou IAM. Pour l’instant, je ne suis pas dans l’égo trip.
 
Il y a une belle chanson qui a pas mal tournée cette année, c’est Petit Pays. Comment est- elle né ?
Je voulais parler  du génocide au Rwanda, mais surtout d’évoquer le Burundi. Pour moi, il n’y avait pas de séparation, de frontière ou de destin. Je voulais y mêler dans un patchwork cet exil. J’avais des idées, des bouts de phrases, mais pas réellement de chanson. J’étais en vacance au Burundi dans un bus assis à côté d’un gars, qui m’a dit qu’il commençait la guitare qui chantait. Je lui demandais si ça lui disait de faire quelque chose.  Il a fait un refrain qu’il parlait du pays. Et voilà, j’ai adoré en plus qu’il porte ce nom malgré le fait que ce soit un titre d’une belle chanson de Césaria Evora.
 

Tu te considères comme un artiste engagé ou ce sont tes textes qui sont engagés ?
Tu as raison de dire ça…ça dépend ce qu’on met derrière le mot engagé. Moi ma définition de l’engagement, c’est une musique qui ne se regarde pas le nombril, qui regarde le monde qui l’entoure. Qui essaie donc d’éveiller un peu les consciences. La conscience c’est le début de tous les combats. Tu as beau militer, mais avant ça, il a fallu que quelqu’un, ou quelque chose,  est réussi à éveiller ta conscience. En ça, j’accepte d’être un artiste ou avoir une musique engagée.
 
Tu évoques le Burundi très souvent. Te sens-tu comme un porte-drapeau de ce pays ?
Je ne me sens pas comme ça. Mais forcément, je le suis. Car quand un artiste émerge d’un endroit  que personne ne connait, forcément, il devient un porte-drapeau. Ma volonté de parler du Burundi, c’est que j’en ai souffert aussi. Quand tu passes ta vie dans un coin, qui est un pays en plus, et que personne ne connait, aussi bien à l’école que dans la rue, ça fait mal. Car à la base, moi j’y ai laissé des amis, une famille. Et lorsque  je suis arrivé, je connaissais la France, la culture, les Inconnus, les baskets, le rap français. La disproportion d’information était grande. Même le mot Burundi, ils ne l’avaient pas entendu. Comme pour le Rwanda. Par contre, je représente à l’extérieur ce pays par rapport à cet album, mais je ne ferais pas toutes mes chansons et mes disques dessus. J’aurais d’autres envies.
 
L’album est produit par le prestigieux label Motown. Comment s’est passé cette rencontre ?
Ils sont venus me voir lors d’un concert de Milk Coffee and Sugar. Ils ont voulu nous faire signer un contrat. On leur a dit qu’on n’était pas près de sortir un album du groupe car on prépare un album solo. Ils étaient très contents, et m’ont suivi sur cette sortie-là. C’est qu’une licence, on garde notre indépendance. Ils nous aident sur ceux qui nous manquaient : la promo, la logistqiue…Un manque qu’on avait sur l’album du groupe. Mais on s’est bien débrouillé quand même. Je crois beaucoup à la rencontre avec le public. On est dans une époque de bouche à oreille. Il ne faut pas attendre d’être signé chez un major, il faut se débrouiller seul.  Imagine une chanson qui cartonne et qu’on t associe à cette chanson. Je ne veux pas que Gaël soit assimilé à ça. L’album est pluriel. Sans être prétentieux, je pense que mon album ne se fait pas en une écoute. A la réécoute, il y a vraiment quelque chose. Il a besoin d’être savourer. 
 
Jeudi, tu montes sur scène. Un stress particulier ?
Moi, j’ai un très gros stress. Et puis, je suis à poil car je suis seul avec mes textes même si le groupe est derrière. En plus, il n’y a pas Edgard. C’est une énergie différente, c’est plus bestiale d’être deux. Là, je me mets plus en danger. Là t’es plus un joueur de tennis, tu montes seul au filet. 

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