mercredi , 1 mai 2024

Interview. Woodkid, intime et total


Le 31 octobre, Woodkid sera sur la scène du Zénith de Toulouse pour y présenter son dernier album S16 avec un show visuel épatant. Rencontre fleuve avec un artiste unique !



Depuis 10 ans, Woodkid traverse le monde musical avec un talent rare. Alliant sa musique et sa réalisation, il s’inscrit comme l’un des artistes les plus enchanteurs de sa génération. Chaque album est une invitation à un voyage. On en ressort pas totalement indemne mais toujours le coeur remplit d’un « je-ne-sais-quoi ». Chacun y mettra ses mots. Pour S16, son deuxième album, il a fallu attendre 2020 après le succès de The Golden Age. 

Alors au moment de l’annonce de sa venue, on a décidé de poser de nombreuses questions à Woodkid autant sur la scène que sur l’album et sa relation au temps et au monde autour de lui. Rencontre !


Dans quel état d’esprit est-on avant la reprise des concerts ? 

 Je suis très heureux. Ça fait longtemps que je n’ai pas été sur scène en plus de la pandémie, donc c’est un double réconfort d’être sur scène. 

Pour vous avoir vu sur scène, on sent que vous prenez du plaisir, qu’il y a quelque chose de grand, il y a un souffle. 

C’est un peu l’aboutissement pour moi. Il n’y a pas de raison de faire d’albums si c’est pour ne pas les défendre sur scène. En tout cas mon état d’esprit, il est comme ça depuis des années. Ça n’a pas changé. Peut-être que ça changera plus tard, mais pour moi aujourd’hui, c’est quand même un aboutissement d’être sur scène. J’aime beaucoup l’idée que les chansons qu’on fait sur un album ne sont qu’un premier témoignage de leur vie. Presque une version d’elles-mêmes à leur naissance et que le live, lui, c’est une espèce de catalyseur de chansons qui les fait évoluer, qui les fait grandir. Les gens oublient souvent que, quand ils écoutent un album, ils écoutent presque les premières fois où un chanteur chante une chanson. La version qu’on entend sur un album, c’est vraiment le moment de découverte entre un artiste et sa chanson et après elle a une vie bien plus longue, notamment en tournée. C’est important de faire vivre les chansons. 

Et dans la création, on pense à la scène ? 

Moi, ça m’aide beaucoup. Ça m’aide beaucoup par exemple quand je bloque en studio, ça m’aide de penser à la scène. 

Puis le public bouge et danse sur les morceaux même les plus délicats.

Oui, c’est le paradoxe de ma musique. C’est ça qui m’a beaucoup plu quand j’étais plus jeune, dans Depeche Mode , il y a pas mal de références comme ça, qui sont des célébrations d’une certaine forme de nostalgie. Je trouve ça très cool et très peu dissonant et étrange. C’est une forme artistique qui me plaît en tout cas. 

« C’est important de faire vivre les chansons »

On va parler de cet excellent album. J’ai l’impression qu’il n’a pas eu la vie qu’il aurait eu sans temps de crise. 

Je pense qu’il a eu la vie qu’il doit avoir et c’est normal que je le sorte à ce moment-là parce que c’était prévu comme ça et que je n’ai pas désiré́ regarder des courbes épidémiques pour définir la sortie de mes albums contrairement à d’autres. J’ai décidé de ne pas me planquer, de donner de la musique aux gens au moment où̀ ils en avaient besoin. Je ne travaille pas comme la plupart des gens dans l’industrie, c’est-à-dire que je ne définis pas la vie d’un album après 3 mois. Je vais continuer à faire des clips sur cet album, je vais continuer à le défendre encore toute l’année prochaine et je vais prendre le temps de lui donner la chance qu’il doit avoir. Pour moi, les choses se font sur la durée. 

D’ailleurs le temps est central toujours dans votre travail, vous prenez le temps de faire quelque chose. Même si l’industrie doit pousser en disant « dépêche toi, on veut quelque chose d’autre », vous, vous prenez le temps. 

Disons que j’ai ce luxe-là. C’est une chance folle d’avoir l’occasion de prendre le temps. Il y a beaucoup de musiciens qui ont l’urgence de sortir de la musique parce qu’ils doivent payer leurs loyers, surtout vu la manière dont on est payé aujourd’hui par les plateformes, etc. Je ne peux pas leur jeter la pierre. Moi, j’ai cette chance folle de pouvoir prendre mon temps et de pouvoir aussi envoyer un message autre, qui est celui d’une temporalité́, d’une certaine forme de distance par rapport à mon travail. La distance du temps, elle a une valeur folle . C’est aussi parce que ça marche avec ma façon de travailler. Je pense que faire un morceau partiellement, le laisser dormir et y revenir deux mois après, c’est une chance folle de pouvoir l’écouter avec des oreilles neuves et une distance suffisante pour pouvoir finalement concrétiser ce qu’on a à faire avec une certaine forme d’objectivité. Donc oui, j’apporte beaucoup d’importance au temps. 

D’ailleurs dans le processus créatif, comment ça se passe ? Il y a une thématique qui naît en premier, un texte, des sonorités ? 

C’est très variable. Je crois que chaque chanson est un contre-exemple de l’autre. Parfois, ça sera une ligne mélodique, un petit air que je vais fredonner sur mon Iphone, parfois, ce sera une petite gamme harmonique que je vais faire au piano le matin en me réveillant, que je trouve intéressante et que je mets dans mon téléphone en mémo et qu’ensuite, j’étudie. Parfois, c’est un texte. Sur cet album, pas mal de chansons étaient des beats au début. J’avais envie de travailler presque à la manière d’un rappeur sur certaines chansons. Tout à débuter à travers ma collaboration avec Son Lux, sur les premières sessions de travail en 2016 avant même d’avoir des chansons, on a travaillé la texture de l’album. Quels sont les sons, les rythmiques, la teneur énergétique de l’album ? Et sur certaines chansons, je suis parti du beat. 

Il y a aussi un travail sur la voix. Parfois, il n’y a plus que la voix et quelques lignes de musique. 

Oui et non. En fait, il y a un travail sur mon instrument oui, sur le fait que j’ai essayé́ de progresser vocalement. J’ai essayé de travailler à avoir plus de couleurs et de timbres différents pour que dans l’interprétation j’aie plus de choix dans ce que j’ai à raconter. Mais par contre, la voix est sûrement un des éléments sur l’album qui est le moins travaillé en production. C’était un peu ça l’idée, c’était de simplifier encore le travail sur la voix. Il y a quand même des effets de production. Parfois, je chante à deux octaves différentes voire trois octaves différentes pour créer une espèce d’effet de texture. Mais globalement, la voix est assez peu produite. J’ai presque voulu laisser à la voix la chance de s’exprimer, comme un song writer en fait. 

« La musique ce n’est qu’une histoire de contraste »

C’est un album de contraste en fait, entre le travail musical derrière très travaillé et la voix dans sa version épurée. 

De toute façon, je pense que la musique ce n’est qu’une histoire de contraste. Je pense que ce qu’on appelle la musicalité, celle d’un acteur, quand il parle, la musicalité d’une peinture, c’est une question de contrastes. Le rythme, c’est du contraste en rapport au silence, en rapport aux ascensions, aux descentes, et je suis fasciné par l’idée du contraste. C’est quelque chose que je trouve abyssal parce que quand on rentre dans l’analyse de ce qu’est le contraste et qu’on veut travailler le contraste, on rentre dans des considérations presque un peu fractales. C’est quelque chose de très étonnant à travailler le contraste, donc c’est vraiment un pilier de mon travail. Surtout sur cet album qui est plein de ruptures. 

Beaucoup de thématiques aussi. Le chaos revient dans les thématiques. Comment vous le décririez cet album pour quelqu’un qui ne l’a pas encore eu entre les mains et qui a envie de se le procurer ? 

C’est une espèce de bande son d’un thriller, une science-fiction d’auteur. Une espèce d’épopée interstellaire et intime à la fois. 

J’ai pu lire que vous avez visité beaucoup d’endroits industriels pour cet album, vous avez rencontré beaucoup de gens. Qu’est-ce que ça a apporté́ à sa construction ? 

Ça m’a apporté beaucoup pour l’univers visuel déjà, parce que c’est quand même des thématiques que j’ai beaucoup explorées visuellement autour de l’album. J’avais envie de parler du monde industriel parce que dans ces endroits là, il y a pour moi beaucoup de paradoxes. Il y a l’idée d’une grande puissance à l’œuvre et il y a l’idée aussi de classe populaire, ouvrière qui sont souvent dominées. Il y a une fascination chez moi pour l’ingénierie humaine, la capacité à construire des machines hautes de 30 étages et en même temps la répulsion de l’effet de ces machines-là sur la planète, sur l’environnement donc c’est toute cette ambiguïté là qui, pour moi, raconte très très bien le monde.  On ne peut pas dire que ce serait un album anticapitaliste ou un album écologiste . C’est un album qui parle plutôt de cette espèce de dissonance cognitive dans laquelle on est tous baignés, qui est les choix constants qu’on a à faire entre notre fascination et notre plaisir et des sujets plus éthiques qui soient politiques ou écologiques. J’ai l’impression que le contemporain est vraiment une histoire de curseur ; on est constamment en train de bouger un curseur entre le « j’adorerais le nouvel Iphone mais en même temps je sais que c’est mauvais pour la planète ». « J’adorerais circuler dans Paris, mais en même temps, c’est tout le temps embouteillé et je sais qu’il faut sauver la planète ». Ou de dire « qu’est-ce qu’on fait avec la crise des migrants ? » …tous ces sujets sont toujours à dissonance cognitive et je trouve ça très intéressant.

En plus ce sont des curseurs que chacun place où il veut. 

Oui, je crois que l’identité, c’est le choix d’où est ce qu’on met ce curseur-là et d’être capable de l’adapter en fonction des situations et de l’assumer. Parce qu’en fait, tous ces choix-là, sont des choix aujourd’hui qu’on doit assumer. Ce qui est étonnant dans l’époque, c’est qu’aujourd’hui nous n’avons pas d’autre choix que d’assumer nos choix. En fait, toutes nos actions aujourd’hui ont des répercussions qu’on doit presque connaitre et assumer… comprendre où est ce curseur à chaque fois. C’est quasiment impossible de pouvoir, de manière systémique, s’aligner avec sa conscience profonde écologique ou d’écologiste de gauche ou humaniste. Donc pour moi je trouve ça très très intéressant artistiquement parce que c’est un trouble très puissant. 

Est-ce que c’est un album qui est plus personnel que le précédent ? 

 Ah oui, c’est sûr. Le premier était une espèce de fable. Ça ne parlait pas vraiment de moi, mais plutôt d’une sensation. J’y ai évidemment mis des choses personnelles, mais c’est un album qui est une espèce d’épopée, de fable Hollywoodienne on va dire. Celui-là, il parle plus de sentiments intérieurs et finalement il utilise ces thématiques grandiloquentes pour parler de choses plus intimes. 

« Je ne suis plus un enfant »

Le costume Woodkid se dérobe sur cet album-là. On voit plus Yoann que Woodkid ?

Oui. De toute façon l’idée de Woodkid, qui est beaucoup attachée au premier album, c’est un nom que j’ai choisi même avant le premier album. C’était un nom Myspace que je trouvais cool et qui s’est aligné de manière un peu fortuite, mais oui j’ai évolué et non seulement je ne suis plus un enfant, mais je ne suis plus un enfant tendre comme celui que j’avais envie de présenter sur mon premier album. 

On va parler d’un autre sujet : le travail avec Hideo Kojima, la rencontre. Comment ça s’est passé ? Quelle relation avez-vous tous les deux ? 

Ça s’est passé il y a maintenant un an et demi. Une rencontre à la demande de nos camps respectifs on va dire.  On s’est rencontré à Paris et il y a eu un vrai coup de foudre artistique. On s’est rendu compte qu’il y avait une connexion assez forte entre nos deux univers . Par la suite il s’est avéré être très fan et  a encouragé mon travail de manière assez stupéfiante sur les réseaux sociaux .J’étais un tout petit peu étonné parce que c’est quelqu’un qui est un de mes maîtres créatifs. Il a construit une partie de ma jeunesse avec ses jeux vidéos et puis voilà, un jour il m’a appelé et m’a dit « est-ce que tu souhaites apparaître dans la prochaine version de Death stranding ? » J’étais un peu estomaqué donc j’ai dit bien sûr et puis c’est allé plus loin que ça, car il a construit tout le teaser avec ma musique, il a intégré mes artworks dans son travail etc 

Il y a une filiation artistique entre vous deux en fait

Il y a surtout quelque chose de fascinant, c’est qu’il a quelque chose sur la temporalité dans son travail. Pour la première fois dans un jeu auquel je joue comme Metal Gear, il faut prendre son temps. Pour infiltrer, pour regarder, pour observer. Il y a une vraie dimension de contraste encore une fois et une vraie dimension de temps dans son travail et ça, c’est évidemment, je crois, un point commun entre nous. 

À ne surtout pas manquer au Zénith de Toulouse le 31 octobre et à réserver sur www.bleucitron.net

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